A fleur d'image

Il y a des rencontres que l’on imagine, d’autres que l’on rêve et d’autres que l’on attend. Celle de Christiane Grimm, à la galerie Ollier de Fribourg, est assûrément les trois à la fois, envoûtante et magique.

Le coeur explosant de couleurs, l’âme encore penchée sur ces oeuvres infinies, métamorphosée en bulle, clapotis , textures insolites et ombres colorées, je me souviens nostalgique et ravie à la fois...

Dès l’entrée, l’artiste nous enmène dans un monde tactile fait de contrastes déroutants et poétiques. Un tison refroidi, craquelé et noir juxtapose un morceau de banquise fendillé, gelé et blanc. Le chaud et le froid, l’organique et le minéral se conjuguent pour mieux nous surprendre. Notre oeil glisse alors sur un étrange paysage : un ciel de plumes opaques laiteux et duveteux surplomble une bande de glace crevassée, ouverte. Curieusement, grâce à la magie du regard de l’artiste, la forme des plumes épouse étonnamment la découpe des crevasses.

Et on se demande où l’artiste a puisé une sensibilité tactile aussi subtile, délicate et suggestive. Et l’on n’est pas surpris d’apprendre que le parcours artistique de Christiane Grimm a commencé sous la forme d’expression corporelle, par la danse et les arts plastiques, qui l’ont même conduite à travailler avec Luginbühl.

Le cinéma, avec le scénarisme et les photos de tournages de Seuls et «Derborence» de Reusser l’ont conduite à l’art de la photos, qu’elle retravaille avec le numérique, pour nous faire rêver.

Une bulle, comme échappée d’un clapotis dans l’eau, photographiée sur fond neigeux devient un ciel éthéré au-dessus de l’eau. Une crête d’écume dentelée, éclatante de lumière et de netteté, contraste avec une vague pentue, creusée et floue.

Métamorphoses liquides, qui nous rappellent l’eau métaphorique des séries de Monet; artiste qui ne rêvait que d’une chose: être enterré dans une bouée. Nous aussi, nous aimerions laisser notre âme s’accrocher à cet écume...

Mais la poésie inhérente de ces oeuvres n’empêche en aucune manière l’humour de l’artiste avec un clin d’oeil patriotique à son pays, la Suisse. La pomme rouge de Guillaume Tell, juxtapose le gland symbole d’immortalité, et la gentiane associée à nos montagnes et aux produits laitiers. Le tout avec des recherches sur la couleur complémentaire et le travail résiduel de compensation de notre oeil. Recherches, qu’elle a peaufiné dans un magnifique livre sur la couleur le Traité des couleurs de L.Zuppiroli et M.-N.Bussac, auquel elle a collaboré.

Transparences de l’eau, reflets, dynamisme des clapotis et des vagues nous promènent à fleur d’image pour nous propulser comme un tremplin sur un miroir liquide lacustre qui flirte avec l’infini. On n’est plus que couleur, lumière et extase. Arc-en-ciel prismatique éphémère projeté sur ardoise ou auréole huileuse sur macadam au nuances subtiles d’indigo dégradées.

Ombres magiques rosées créés à partir d’un rayon vert, qui subtilement nous fait comprendre que de Konrad Witz avec sa Pêche miraculeuse du XVe siècle, aux paysages impressionnistes porteurs d’ombres colorées, à l’installation de cette artiste contemporaine, il n’y a pas de rupture, mais une merveilleuse continuité, un écho et un dépassement.

Trois dernières images ont éveillé nos sens jusqu’à en confondre de façon synesthésique* les sensations :

Lumières et ombres safranées et veloutées de pétales jaunes.

Feuilles ridées de nervures parlant des âges de la chlorophylle des feuilles gorgées de sève et de lumières

Gorges généreuses et satinées de fleurs rouges toutes en rondeurs féminines contrastant avec les feuilles vertes complémentaires pointues et masculines

Erotisme végétal qui nous renvoie comme un clin d’oeil à la poésie de G. O’Keefe.

Nous ne pouvons que remercier l’artiste d’avoir réussi à nous plonger dans un monde aussi complet et riche de sensations poétiques.

Ayant travaillé avec des nouvelles technologies, elle rejoint et dépasse les recherches chromatiques d’artistes du passé, du Moyen-Âge à nos jours.

Complètement contemporaine, elle éduque notre oeil, nous surprend de manière ludique et nous apprend à voir la beauté cachée dans notre monde.

Et l’on se demande comment se peut-il que ces oeuvres si originales et époustouflantes ne figurent pas encore aux cimaises des plus grands musées contemporains...

Patricia Zazzali, historienne de l’Art
Fribourg, le 23
octobre 2004

* La synesthésie est une superposition de sensations ou un éveil de 2 (audition colorée) ou 3 ou 4 sens en même temps(sensation olphactive et gustative). Lors de nos premiers mois de vie nous sommes tous synesthésiques. Ensuite cela se perd, excepté chez certaines personnes (1 sur 25’000 dont l’activité corticale se réduit au profit d’une activité lymbique accrue), souvent des artistes, musiciens, écrivains, peintres, danseurs, créateurs (Delacroix, Klee, Kandinsky, Korsakov, Berlioz, Sibellius, Rimbeaud, Baudelaire, Nabokov). La synesthésie est un état de grâce qui peut virer au cauchemar si elle est contrariée…

 

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